102 décibels et pas un de plus. C’est le nouveau niveau (en moyenne) maximum autorisé en club en 2018. Tous les lieux d’une capacité supérieure à 300 personnes sont concernés, y compris les festivals. Alors que les professionnels ont jusqu’au 1er octobre pour s’y conformer, les sound systems doivent eux aussi s’adapter à cette nouvelle réglementation. Et si c’était le timing idéal pour faire le pari de la musique aux dépens du « son » ?

Mikey Dread, Channel One sound system, au Dub Camp festival, en juillet 2017. Photo : Tom « Tsoham ».
« Ta gueule, balance le son putain ! ». La sentence claque depuis la foule juste avant la last tune, à 05h50 du matin. Aussi violente qu’un uppercut, elle s’adresse à Jah Shaka, coupable cette nuit-là, de trop parler au micro entre ses sélections à l’occasion de la Dub Station #49. Car oui c’est vrai, le selector anglais a bien lâché son refrain habituel sur les mothers et les children qu’il fallait protéger, sans oublier de remercier chaudement toutes les personnes impliquées dans la soirée à base de Guidance et Jah Protection. Une minute chrono au micro, deux tout au plus.
Oui mais voilà, pour cette dégénérée qui s’est crue en discothèque, cette minute perdue qui la coupe dans son élan, est intolérable. Elle a payé son entrée et c’est sûre de son bon droit qu’elle exige du « son » en continu jusqu’à épuisement et satisfaction de sa petite personne. Quitte à insulter l’artiste qui le lui propose et tant pis s’il a l’âge d’être son grand-père et qu’il s’est tapé la route depuis Londres. « Mais qui c’est ce blaireau avec son bonnet et son jogging qui me gâche mon trip ? ».
Du « son » et pas de la musique. Surtout pas de paroles, encore moins de discours. Juste du son à plein tube pour danser, s’amuser et accompagner sa défonce. Nul besoin de savoir quel sound joue ce soir-là, quel disque a-t-il posé sur la platine, quel label l’a produit et encore moins quel sens tout ça peut-il bien avoir pour ceux qui en sont à l’origine. Le son, c’est le son. Point. Pour elle, dimanche, tout ça n’existe plus. Cela ne fait plus partie de sa réalité, d’ailleurs elle a tout oublié ou presque. Seuls ses petits tympans fragiles encore douloureux et des grincements de dents à répétition lui rappellent au réveil ce qu’elle a fait hier soir : la fête et rien d’autre.
Réalise-t-elle qu’au moment où elle cuve tranquillement sa débauche dans un lit douillet, les membres du sound system qui lui ont « balancé » le « son » cette nuit-là sont loin d’être rentrés à domicile ; affairés à démonter des kilos de sono, à les recharger dans des camions de location avant de reprendre la route et d’arriver finalement à destination, des heures plus tard, après un bout de sommeil gratté au mieux dans un mauvais hôtel, le plus souvent sur une banquette inconfortable.
De tout ça elle ne sait rien et ne veut d’ailleurs rien savoir. Peut-importe, comment il s’appelle ou quel est son système de diffusion. Le « son » c’est le « son » et sa seule mission, c’est de la faire « kiffer » jusqu’à l’aube. Mais peut-être que cette consommatrice sera contrariée d’apprendre que bientôt, ce « son » va baisser. De trois décibels exactement.
118 dB maximum pour les fréquences basses
C’est peut-être un détail pour vous, mais trois dB ça veut dire beaucoup. Sur l’échelle non linéaire des décibels, passer de 105 à 102 dB correspond à diviser l’intensité sonore par deux. Cela ne signifie pas deux fois moins de bruit pour autant, mais c’est non négligeable à l’oreille.
Pour les basses fréquences, qui nous intéressent particulièrement dans le reggae, le dub et toutes les bass music, le seuil est désormais limité à 118 dB. Et si ce sont des moyennes mesurées sur 15 minutes qui sont prises en compte, toutes les salles de concert ou autres clubs d’une capacité supérieure à 300 places ont désormais l’obligation d’enregistrer en continu les niveaux sonores et de les conserver pendant six mois. Ce sont les fameux contrôleurs de décibels qu’on trouve déjà dans certaines sessions (Nantes Dub Club par exemple).
Cette nouvelle réglementation est actée par un décret paru en août dernier au Journal Officiel et laisse jusqu’au 31 octobre 2018 pour s’y conformer sous peine d’amende de 1500 €, le double en cas de récidive, voire une confiscation du matériel de sonorisation. Imagine-t-on les sound systems récalcitrants saisis par les autorités, eux qui font de la puissance sonore, leur marque de fabrique ?
Alors que certains professionnels crient au scandale et annoncent déjà la mort de la culture des clubs et des festivals, les autorités mettent en avant les risques sanitaires alors que 12 à 13% des Français seraient touchés par des problèmes d’audition, soit 6 à 8 millions de personnes.

Shaka pose un Ariwa ! Photo : Tom « Tsoham ».
Un arrêté qui marque la mort des grosses sessions de plus de 300 personnes ? Ce n’est pas envisageable, pas plus que de penser qu’il suffira de négocier au cas par cas avec un ingénieur du son compréhensif ou un président d’association organisatrice peu tatillon.
Pourquoi ne pas prendre les devants et transformer ce mauvais coup porté au monde de la nuit et aux musiques amplifiées en y voyant une occasion d’éduquer un public qui fait de moins en moins la distinction entre un sound system et un tonus médecine ? Une « éducation » non seulement sonore, en distribuant des protections auditives et en réglant au mieux ses fréquences, mais aussi et surtout musicale.
Le retour de la musicalité au détriment du seul « boom boom »
Moins de volume égale moins de sensations physiques, c’est certain : moins de basses qui vibrent dans la poitrine et le bassin et poussent à une irrémédiable envie de chalouper ou de skanker… Mais moins de volume, moins de basses, pourraient aussi inciter les sounds à davantage se distinguer autrement que par la puissance sonore et le volume des basses : l’équilibre des fréquences par exemple, et surtout, le contenu de la musique jouée elle-même.
Aux selectas et MCs, d’annoncer leurs titres, leurs dubplates, de saluer les artistes qu’ils jouent, les labels et les producteurs (…) qui restent la base de cette scène, ses origines, ses références… De transmettre cette curiosité à l’auditeur pour l’emmener un peu plus loin qu’un éphémère moment devant « le son ». Lui entreouvrir les portes d’une culture musicale vaste, mais parfois difficile à déchiffrer et le plus souvent cataloguée et réduite aux clichés les plus ridicules par ses pourfendeurs.
Car moins de son, cela peut aussi signifier plus de place accordée à l’oreille pour saisir toutes les subtilités de la musique. Comme celle de distinguer un vinyle d’un fichier numérique. Un repress d’un original ou une plate d’un morceau déjà édité… Quel plaisir de reconnaître toutes les voix de différents chanteurs qui chevauchent le même riddim ou de savoir différencier instruments analogiques et numériques… Les exemples sont légion et la multiplication actuelle des featurings entre sound systems et musiciens classiques (saxo, basse, trombone, violon…) plaident dans la même sens. Celui du retour de la musicalité au détriment du seul « boom boom ».
Et si finalement ces 3 décibels de moins étaient une chance pour le sound system ? Celle de faire comprendre à la composante la plus récente de son public qu’il ne consiste pas seulement à appuyer sur un bouton pour en faire sortir du « son ». C’est surtout la diffusion amplifiée d’une musique et de sa culture infiniment plus riche et variée que la simple fête. Et tant pis pour cette idiote qui a insulté Jah Shaka. ♦
E. B.
* N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires et de vos avis à la suite de l’article. Tous les points de vues sont bien sûr bienvenus.
Oui la clubeuse énorme non respect premiere foi que j’entends ça en 20ans de soirée soundsystem en plein discourd de M. Shakka complètement lunaire cette teufeuse…
Je rejoins complètement daddy, à part les tout jeunes sounds, je ne crois pas qu’il y ait de sounds qui ne mettent pas la qualité des sélections, l’animation etc. avant la puissance sonore, à partir du moment où on arrive à un niveau respectable.
Bonjour,
Très bel article, résumant dans ces quelques phrases, l’essentiel du sound system et des sound men qui s’active pour diffuser cette culture, dans un contexte souvent différent, que ce soit dans une salle conventionnée, ou dans une salle des fêtes de campagne sans convention, mais avec des engagements entre les assos ou les organisateurs.
Par contre oui, il est vrai, nous avons tendance à retrouver un public comme cette clubbeuse, ou teuffeuse, se retrouvant dans une soirée dite « Sound System » exigeant de l’équipe qui sonorise, un service à la demande, c’est à dire du « gros son », « l’accompagnement dans son trip psychédélique » sans rien comprendre de sa présence dans un espace, qui demande juste que les gens se rapprochent, qu’ils se libèrent de la pression de la semaine vécue au travail ou dans la simple vie de tous les jours. Oui il est vrai que l’éducation est le travail aujourd’hui à mettre en avant par les sound system, pour qu’il puissent garder leur authenticité et continuer le réel travail pour lequel il est fait. Alerter les jeunes et moins jeune sur l’incompatibilité dans un tel événement de la consommation de drogues de plus en plus fortes et dangereuses, aux vues des jeunes que l’on voient sortir des wc toute la soirée…Be careful !
Concernant la limite sonore, qui maintenant descend un peu, il y a certains points positifs. Tout d’abord, personnellement un sound qui joue fort voire très fort, ça va fatiguer l’oreille, rendre ma dance un peu difficile, à trouver la place dans celle ci où je pourrais apprécier la selection et en même temps le travail de l’opérateur. Cela est vrai va faire que les concours de grosse sono, vont se déplacer hors des sentiers tracés pour la culture au niveau national, ça peu être une bonne chose, comme aussi avoir un revers de médaille et d’être affilié à un certain mouvement qui à émergé il y a quelques années et dont « la teuffeuse » arrive…comme cela se voit sur un bonne partie du public dans les sessions actuelles.
Après cela est une forme de démarche personnelle pour les sounds systems, il à de tout, et c’est bien aussi.
Pour illuster ça, participant à une session, il y a peu avec au controle d’un mur de 6 scoops dans une salle de 800 personnes (SMAC), « le Roi du tremblement de terre » à jouer fort et bien (qualité optimum d’écoute, ressentit du pantalon qui frémit, une bonne discudance (discussion dans la dance, sans hurler ce qu’on dit à son voisin)), et cela l’a fait à un 107db (après je ne sais pas si c’est du linéaire, ou bass fréquence), mais c’était une bonne dance, agréable, donc ne nous inquiètons pas pour l’instant, attendons.
Merci pour ce bel article, et ce travail par votre site
ONE LOVE
Si on oublie une première partie plus remplie de parties pris et d amertumes envers certains non « initiés ». La direction de réflexion est interessante. Après le mot éducation à un sens et un poids avec ou sans guillemets… Peut être que plus humblement, vouloir sensibiliser les publiques qui fréquentent ces soirées à une écoute différente… Ça implique aussi de comprendre le public et ne pas se borner à leurs ramener la « lumière » de la culture « noble ».
Le vrai problème c’est les 118 dbc. J’ai des potes qui ont fait des test sur une sono de club (qui est loin de sortir autant de basses qu’un Sound System) et en jouant a 96 dba (soit très loin de la nouvelle législation de 102) ils étaient autour de 126 dbc. La solution passera peut-être par les infra sons qui, étant donné qu’ils ne sont pas audibles, ne devraient pas être mesurés par les enregistreurs mais ça reste un énorme coup porté a toute la Bass Music.
Après faut avouer que quand ont voit certains Sound System mettre 12 scoops dans des salles de 300 personnes et jouer bien au delà des limites du raisonnables faut pas s’étonner qu’une telle loi nous tombe sur la gueule.
(Rappellons au passage que les dbc endommagent très peu l’oreille puisque que le tympan est un organe qui est beaucoup plus sensible aux aigus)
Bravo pour cette prise de position.
Je n’étais pas au courant de ce nouveau décret et la manière dont vous présentez la chose est très juste. Je vous accorde tout mon modeste soutient, car même si j’ai la primeur d’écrire le premier commentaire, il y a fort à parier que vous allez vous faire rouler la boue (be strong).
En effet le milieu du dub (je ne vous apprend rien) tient dur comme fer à pouvoir pousser le son toujours plus haut (une certain idée de la liberté probablement). Et ceci sans ce soucier de savoir si l’on est plutôt dans un constest de dB en mode tunning ou dans une soirée ou l’on est la pour profiter de la musique, j’ai des souvenirs de soirée à plusieurs sounds avec des Mark Iration ou des King Earthquake ou l’intensité sonore étét telle que personne (dans mon groupe d’amis) ne prenait de plaisir même en étant passionnés.
Le point que je veux soulever c’est que outre le mec (ou la fille) qui gueule « Balance » à la fin de la soirée, il va falloir aussi que les soundmen jouent le jeu et souvent ce sont eux les fautifs, pas le gars foncedé de fin de soirée…
Bonjour, globalement en désaccord avec la teneur de l’article. L’exemple cité à 5h50 étant d’après moi (qui fait pas mal de sound system Reggae/Dub/Dubstep à Paris et ailleurs) l’exception plutôt que la règle. A la lecture on a l’impression que le principal élément qui distingue les sounds est la puissance sonore et qu’au delà d’un certain volume on approche de la bouillie in différenciable! Les sounds (anglais, hollandais, français et j’en passe…) se distinguent par leurs sélections, leur voix, leur manière d’animer la soirée (parce que oui un sound system ne fait pas qu’enchainer les galettes ou cd de 0h à 6h), les artistes qui les accompagnent aussi. Il y a beaucoup d’occasions autres que les sounds d’écouter ces musiques ‘moins forts’ et pour moi les soirées sound system sont associées à de la puissance sonore aussi, sans oublier la qualité des ‘sélections’, loin de toutes s’apparenter à un boum boum!! bien à vous.